Poésies

Toute en charmes de chat
Extrait de “Advienne qu’aimera

Quand le chat nonchalant de sa patte paisible
appose ses velours aux neiges du plancher,
et que comme frôlant des voiles invisibles
il ralentit vers moi son souple déhanché,

je crois voir la parfaite et seule créature
qui mérita l’Eden et d’y vivre à jamais,
le chef d’œuvre premier, joyau de la nature,
maudit certainement d’un dieu qui trop l’aimait.

Et puisque le démon l’aura pris sous son aile, 
vers la sauvagerie qu’épouse la beauté,
il est comme l’Amour quand sa griffe recèle
sous l’exquise douceur sa froide cruauté.

A la façon qu’il a de ravir la lumière,
quel artiste n’a pas croqué sur le vélin,
autour de ses iris scintillants de mystères,
l’idéale harmonie de cet ange félin ?

En indolent seigneur, dédaigneux du vacarme
qu’entraine la cohue des hommes et des chiens,
il se tait car il sait, puisqu’il porte le Charme,
puisqu’il est la Beauté, que tout lui appartient !

De même vous savez, fatale séductrice,
égale de ces rois, vous noieriez tout comme eux,
quand se tourne vers moi votre divin caprice,
mon âme dans vos airs doux et majestueux. 

Perlambruine se meurt
Extrait de “Les métamorphoses de la Muse”

Gémellité
Extrait de “Reines et fugitives”

Nous sommes nés tous deux d’une étoile filante
qui à la terre offrant son céleste secret,
une nuit nous laissa dans un berceau d’adiantes,
là où les eaux de Lune inondent la forêt.

Dans les années suivant notre venue au monde,
à boire la rosée, nous avons subsisté,
abandonnés aux soins de la forêt profonde.
N’étions-nous qu’un doux songe, un éclat de clarté ?

Si nous devions mourir comme se meurt le rêve
il n’en fut pas ainsi. Nous avons existé,
au mépris des appels de l’aube qui se lève
et reconduit aux cieux les astres enfantés.

Nos battements de cœurs grandirent de concert,
parmi les centaurées et les esprits des bois.
Nos rires répondaient aux brames des grands cerfs.
L’histoire des ruisseaux s’écrivait sous nos doigts.

Jusqu’au jour où le sort fit se fendre notre âme,
Nous fûmes recueillis par la réalité.
C’est en nous déchirant que nous nous embrassâmes.
De l’humaine maison nous fûmes adoptés.

Séparés, nous allions apprendre à désapprendre,
à ne plus croire aux fées, ni aux rêves errants.
« Un enfant ne peut pas d’une étoile descendre.
S’il regarde plus bas, il peut devenir grand. »

L’on nous parlait sans fin d’un complot des chimères.
C’est inlassablement qu’il nous fut répété
que notre doux jumeau n’était qu’imaginaire,
qu’un caprice enfantin né de l’obscurité.

Et pourtant je la sais, toujours je la retrouve,
je reconnais l’étrange et sublime beauté
de ses cheveux de feu, de son regard de louve,
quand aux chandelles tremble une once de clarté.

Nous serons à jamais ces mêmes enfants-songes.
Et je sais que toujours loin des leurres humains
l’histoire des ruisseaux en secret se prolonge
quand sur l’onde des nuits je recouvre sa main.

Diphylleia, de Diphylleia
Extrait de “Diphylleia”

L’équarrisseur et le marionnettiste
Extrait de “Atrabile”

La canicule vint sur les cités de terre.
Les ans avaient celé l’incident dans l’oubli.
Le mensonge n’était sous les aspects du lierre
que lézardes poussant sur les murs affaiblis.

Et c’est là dans les trous où couche la misère
qu’autre chose allait naître, un fléau, le dernier.
Tout prit source très bas dans la ruine vulgaire,
dans un faubourg perdu, entre deux ateliers.

Deux artisans œuvraient en ces lieux de malheur,
deux hommes séparés d’un seul mur. Le premier
était marionnettiste et l’autre équarrisseur.
L’un était fortuné et de tous envié.

L’autre lui dédiait une profonde haine.
Le premier détenait un théâtre en l’endroit.
Fabriquant de poupées, il les mettait en scène
les faisant se mouvoir suspendues à des croix.

Le spectacle était pieux. Et les pantins en loques
dans leur cirque de prêche haranguaient les curieux.
Tout y louait Absur. L’habile ventriloque
façonneur de messie, faisait parler son dieu.

L’hypocrite évangile y faisait longue messe.
Le théâtre plaisait aux naïfs, aux chalands
empressés de jeter leurs dernières richesses
dans le ballet mystique. Et l’Ordre était content.

Son voisin ne taillait ni le bois ni l’étoffe
mais la chair et les os. L’équarrisseur devint
désireux du succès de ce faux philosophe,
qui faisait sautiller des pantins dits divins.

N’avait-il du talent et de semblables lames ?
Les hommes méprisaient ses viandes que léchaient
les mouches, préférant aller nourrir leurs âmes.
Et ses œuvres restaient inertes aux crochets.

Un jour que son voisin recomptait dans sa tête
son butin «  Aujourd’hui – vingt et un – convertis –
tout à moi – soixante-sept – mannequins – marionnettes.»
le boucher s’empara de son plus fin outil.

Le poinçon creva l’œil, interrompit l’algèbre
dans l’esprit transpercé du compteur de pantins.
Il coula jusqu’au ventre, évidant les ténèbres,
comblant la jalousie d’un sinistre festin.

S’effondrèrent autour les poupées en poussière
quand leur maître comptait encore et à demi
« De Quarante – Et perdante » achevant l’inventaire
« Plus que vingt – La vie feinte » aux bras de l’ennemi.

La messe fut changée dans les jours qui suivirent.
Devant la boucherie le culte avait tourné.
Les pieux habitués devant elle s’assirent.
Un tout nouveau spectacle à leurs yeux était né.

Des carcasses dansaient leurs fières pantomimes,
tournoyaient, accrochés à leurs moignons saignants.
Dans leurs rôles nouveaux, animaux et victime
conviaient le public à des tableaux poignants.

Des messies inédits suspendus par les fils
des lignes de leurs mains y étaient engagés.
Dans le moindre détail tout était évangile.
Des acteurs seulement l’odeur avait changé.

Sans regrets, aisément les gens s’accoutumèrent
au spectacle suave. Et nul ne fut surpris
jusqu’au jour malheureux où sur scène montèrent
en rangs désordonnés de nouveaux équarris,

des cadavres issus de ventes clandestines,
sans doute un arrivage oblique des prisons
où fut ensevelie la lumière mutine,
où la terre grouillait encore de poisons.

Ces nouveaux arrivés, dès leur premier quadrille,
échappèrent de suite aux manipulations,
refusant leur réplique à leurs langues anguilles
ils nièrent Absur et toute dévotion.

Il fallut au plus vite étouffer leur discours.
L’on rompit à nouveau ces corps jaloux des cieux.
Sans que l’Ordre ne sût, l’on jeta dans la cour
leurs mille-et-un morceaux de pantins séditieux.

Ils faisandèrent là durant quelques semaines.
De leur viande gravide on vit lors lentement
une chose ramper, comme une enfant humaine,
qui se désengluait du berceau d’ossements.

Aucun ne fit l’effort d’égorger l’orpheline
enfant d’apocalypse. Il était encor temps.
Mais Krise survécut dans les ruisseaux d’urine,
dans le giron des morts, les viscères tétant.

Leur Fléau
Extrait de “L’an de cendre”

Morceline
Extrait de “Séquelles

Dans le pourrissement des gloires éphémères
un vieil homme cherchait, dans sa captivité,
osant presser l’oreille aux bois cintrés de fer,
aux veines de la nuit le pouls de la cité.

Il rêvait l’œil ouvert de n’être plus bétail,
de fuguer dans la nuit, d’entendre s’épuiser
les grognes acharnées des dogues de ferrailles
engendrés du semis de ses chaînons brisés.

« Etre libre ! » la phrase incisait les gerçures.
La vapeur de son souffle à travers les barreaux
maudissait la noirceur qui cimente les murs,
et les nues d’oiseaux noirs qui les rendent plus haut.

Dans les proximités transies de crépuscule
il écoutait le vide et l’écho du clocher,
ce grand hibou de fer dans sa haute pendule
qu’en sa ronde le temps s’échine à dénicher.

« Morceline aide-moi ! » « Aide-moi Morceline ! »
il haletait cela, dans un chuchotement,
comme on jette hameçon, vers la cage voisine.
Un autre chant alors s’éleva faiblement.

De cette autre prison, la triste voix éteinte
d’une enfant étranglée par le froid murmurait
un de ces râles sourds, de ces profondes plaintes
qui sont des animaux le langage secret.

« Fais-moi sortir d’ici ! » pria le misérable.
« Promets-moi Morceline et je te donnerai
mon bien le plus précieux. C’est un diamant des sables ! »
La fille répondit « Donne et je le ferai. »

Le gueux sortit alors un reflet de son œil
et le jeta dehors aux barreaux d’à côté.
« C’est mon dernier trésor, la lie de mon orgueil. »
Et l’enfant ajouta « C’est ta naïveté. »

Le chant de la fillette alors se fit plus tendre.
De la nuit d’alentour l’ombre se déchira.
Dans un foisonnement, faisant vibrer la cendre,
des faubourgs déferlait une marée de rats.

Le pauvre fut bientôt noyé dans cette mer,
mordu jusque dans l’âme. Et bientôt chaque rat
tenant entre les dents une part de sa chair
le sorti de sa cage, acquittant le contrat.

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